Cette revue identifie des approches géochimiques et écotoxicologiques prometteuses qui pourraient être utilisées pour surveiller les effets biologiques de la disposition subaquatique des résidus miniers réactifs.
Les résidus miniers submergés, ainsi que leurs constituants métalliques, peuvent influer sur la vie aquatique de deux façons: indirectement (p. ex. par la lixiviation de métaux dans l'eau ambiante, suivie par leur assimilation à partir de la phase aqueuse) et directement (p. ex. dans la microfaune, par ingestion des résidus et l'assimilation des métaux à partir des voies intestinales). Ces deux voies d'exposition aux métaux sont examinées. Les métaux qui ont été retenus sont ceux qu'on retrouve communément dans des résidus miniers réactifs et qui sont connus comme étant potentiellement toxiques aux faibles concentrations pour le biote aquatique, et qui existent dans les eaux naturelles à l'état de cations dissous (p. ex. Cd, Cu. Ni, Pb, Zn).
Considérations géochemiques
• Pour évaluer l'exposition indirecte, il faut estimer les concentrations des métaux dans les eaux interstitielles des sédiments (c.-à-d. [M]i). On croit que de telles concentrations réflètent le potentiel chimique du métal à l'interface sédiments-eau. Les changements de ce potentiel chimique influeront sur la biodisponibilité du métal.
• Deux approches peuvent être utilisées pour évaluer [M]i: l'une s'applique aux conditions oxiques et attribue la régulation de [M]i à des réactions de sorption sur des sorbants comme des oxyhydroxydes de Fe, ou de Mn, ou des matières organiques sédimentaires, alors que la deuxième s'applique à des conditions anoxiques et suppose que les [M]i sont déterminées par des réactions de précipitation-dissolution avec des sulfures amorphes réactifs (Sulfures-Volatils en Milieu Acide, SVMA).
• Ces deux approches diffèrent par leur choix des réactions déterminant la solubilité des métaux dans les eaux interstitielles des sédiments. Cette divergence provient de différences théoriques en ce qui trait à la nature des sédiments biologiquement importants, qui sont soit des sédiments superficiels et complètement oxydés (dans lesquels les teneurs en sulfure amorphe devraient être très faibles et où les [M]i devrait être déterminées par des réactions de sorption), soit des sédiments suboxiques partiellement oxydés (où des teneurs significatives en SVMA devraient persister, et où des réactions d'échange avec des sulfures amorphes devraient déterminer la séparation des métaux entre les phases dissoutes et solides).
• Le choix entre ces deux approches n'est pas simple, même pour les sédiments naturels. En conditions réelles, à cause de l'hétérogénéité spatiale à petite échelle, la distinction entre les sédiments oxiques et anoxiques est souvent peu évidente. La plupart des organismes benthiques aérobies survivent dans les sédiments recouverts ou même entourés de matières anaérobies, qui constituent une source possible de SVMA.
• Selon que l'une ou l'autre de ces approches géochimiques est plus appropriée pour les résidus miniers (c.-à-d. aux conditions d'oxydation entières ou partielles à l'interface résidus-eau), il devrait être possible de prévoir les valeurs de [M]i en se basant sur la géochimie des résidus après diagenèse et mélange des matières particulaires naturelles.
Interactions entre les métaux à l'état de traces dissous et les organismes aquatiques
• Les résultats obtenus avec des données quanlitatives suggèrent que la concentration aqueuse totale d'un métal ne permet pas une bonne prévision de sa biodisponibilité. La différenciation des espèces d'un métal influe fortement sur sa disponibilité pour les organismes aquatiques.
• Un ensemble impressionnant de résultats appuie l'hypothèse selon laquelle la réponse biologique causée par un métal dissous est habituellement en fonction de la concentration de l'ion métallique libre, MZ+.
• Ce Modèle de l'activité des ions libres (MAIL) devrait s'appliquer aux organismes aquatiques qui n'assimilent pas de matières particulaires (p. ex. les plantes aquatiques à racines), ainsi qu'aux organismes qui assimilent les matières particulaires mais pour lesquels la phase dissoute reste le principal vecteur pour l'absorbtion des métaux.
• Toutefois, la plupart des expériences conçues pour tester le MAIL ont été effectuées en laboratoire à des pH fixes, avec des métaux divalents (Cu. Cd, Ni, Pb, Zn) dans des milieux artificiels (inorganiques) ou dans l'eau de mer filtrée, et en présence de quantités connues de ligands synthétiques. L'applicabilité du MAIL aux eaux naturelles, en présence de matières organiques dissoutes (MOD), est mal documentée.
• Deux types d'études ont été effectuées pour vérifier l'applicabilité du MAIL en présence de sédiments: 1) des bioessais en laboratoire effectués avec des échantillons enrichis et des sédiments naturels prélevés à des endroits contaminés connus et 2) des relevés sur le terrain d'organismes benthiques indigènes. Ces deux approches appuient la théorie générale selon laquelle les organismes benthiques répondent aux concentrations d'ions métalliques libres à l'interface sédiments-eau.
Interactions entre les métaux à l'état de traces sous forme de matières particulaires et des organismes aquatiques
• Les organismes benthiques qui ingèrent des particules tendent à sélectionner les particules les plus petites et les plus légères de leur milieu. Cette stratégie nutritionnelle entraîne l'ingestion de particules qui tendent à être enrichies en métaux.
• L'assimilation de métaux liés à des particules est normalement à l'origine de leur conversion de la forme particulaire à la forme dissoute dans les voies intestinales, suivie par leur diffusion facilitée à travers la membrane intestinale. Les processus digestifs et les conditions chimiques prévalant dans les voies intestinales ont donc une importance considérable (p. ex. pH, période de digestion, état d'oxydo-réduction).
• En se basant sur des expériences d'alimentation pendant lesquelles l'absorption de métaux de différentes phases sédimentaires était surveillée, on a conclu que l'efficacité de l'absorption d'un métal donné variait fortement d'un modèle de sédiments à l' autre, et la disponibilité relative d' un puits donné variait d'un métal à l' autre. Par conséquent, il n' est pas possible de tirer des conclusions générales disant par exemple que les métaux de la phase A sont plus disponibles (p. ex., détritus organiques) que ceux de la phase Z (p. ex. oxyhydroxyde de Mn(IV)) - alors que la séquence A > Z peut être vraie pour un métal, mais ne l'est pas nécessairement pour un autre.
• Les différences de disponibilité d'un métal tendent à varier en rapport inverse avec la force du lien entre ce métal et les matières particulaires. Les sédiments qui présentaient la plus forte affinité pour un métal (c.-à-d. qui libéraient le moins de métal en solution) étaient également les substrats à partir desquels la biodisponibilité de ce métal était la plus faible.
• À partir de ces études, il est clair que la forme physico-chimique d'un métal lié à un sédiment influe sur sa disponibilité dans les voies intestinales de l'organisme limnivore Macoma balthica. Toutefois, il serait prématuré de tenter d'extrapoler ces résultats à tous les limnivores.
• Les résultats des expériences d'alimentation effectuées avec M. balthica sont, de l'aveu des auteurs, qualitatifs. Néanmoins, il existe un parallèle intéressant entre le concept original d’ "affinité" (selon lequel la disponibilité d'un métal lié à une particule est en rapport inverse avec la force du lien métal-particule) et des indications plus récentes selon lesquelles la concentration d'un métal dans l'eau interstitielle peut être utilisée comme une mesure de son potentiel chimique dans les sédiments de surface et par conséquent, comme une mesure de sa disponibilité. Cette conclusion semble vraisemblable, à condition que l'environnement chimique à l'intérieur des voies digestives d'un animal soit semblable à celui de son environnement immédiat (c.-à-d., à condition que le potentiel chimique d'un métal ne change pas de façon importante quand celui-ci passe d'un environnement extérieur au système digestif). Dans ce contexte, de meilleures connaissances de la chimie de la digestion des invertébrés seraient très utiles.
Indicateurs biochimiques du stress causé par un métal
• Ordinairement, les tentatives visant à déterminer les répercussions des contaminants, sur les écosystèmes aquatiques sont basées sur des expériences en laboratoire dans des conditions définies (essais de toxicité) et, dans une moindre mesure, sur des observations sur le terrain portant sur des populations indigènes ayant subi des répercussions. Une approche complémentaire et différente est basée sur l'utilisation d'indicateurs biochimiques pour surveiller la réaction d'organismes particuliers aux produits chimiques toxiques et pour donner une mesure de la santé de l'écosystème.
• Dans le cas des métaux, une bonne partie des travaux dans le domaine des indicateurs biochimiques ont porté sur des protéines liant des métaux, et plus particulièrement sur la métallothionéine (MT), et sur les composés de type métallothionéine.
• Étant donné ses propriétés moléculaires, ainsi que les connaissances actuelles sur son rôle dans l'absorption, le transport, le stockage et l'excrétion des métaux, la métallothionéine offre d'excellentes possibilités comme indicateur biochimique spécifique pour un contaminant de l'exposition à un métal et (ou) du stress causé par celui-ci.
• Parmi les approches possibles, notons: i) la mesure des concentrations de métallothionéine comme indicateur de l'exposition antérieure à des métaux toxiques et ii) l'examen des répartitions relatives des métaux toxiques dans les pools de liants cytosoliques afin d'évaluer le stress causé par un métal au niveau biochimique.
• Les données in situ à l'appui de la première approche s'accumulent lentement dans la littérature écotoxicologique. Dans les études utilisant l'échantillonnage de populations indigènes d'organismes aquatiques provenant de sites sélectionnés de façon à représenter un gradient spatial de contamination (par un métal), les concentrations de protéines de type métallothionéine étaient régulièrement supérieures dans la plupart des sites les plus contaminés.
• Pour ce qui est de la deuxième utilisation possible de la MT, c.-à-d. l'évaluation du stress causé par un métal au niveau biochimique, les réponses des organismes aquatiques aux excès de métaux ont donné des résultats beaucoup plus diversifiés qu' on ne l' aurait supposé avant les études. Ainsi, les distributions de métaux toxiques dans la fraction cytosolique ne sont pas encore utilisables pour évaluer le stress causé par un métal au niveau biochimique.
Effets des métaux au niveau des populations et des communautés
• Les éléments structurels des écosystèmes sont souvent considérés comme les indicateurs les plus sensibles des perturbations. Ces éléments comprennent les communautés (les éléments biotiques d'un écosystème) ainsi que les populations (les membres d'une espèce qui occupent le même habitat et peuvent éventuellement se reproduire entre eux).
• Des études récentes suggèrent également que l'exposition chronique à de faibles teneurs en contaminants entraîne souvent des effets importants sur les populations et les communautés dans les environnements aquatiques. Donc, des données sur les communautés et les populations sont essentielles pour la prévision et la surveillance de ces effets.
• Toutefois, les effets des cycles naturels des populations, le climat et d'autres facteurs environnementaux non reliés à la contamination doivent être pris en compte si l'on veut évaluer de façon adéquate les répercussions des contaminants sur les populations et les communautés. Ceci peut être fait par l'utilisation de sites de référence représentatifs ainsi que par la collecte d'une quantité suffisante de données chimiques et biologiques de fond.
• Certains indices communautaires sont plus utiles que d'autres pour déceler les répercussions de contaminants comme les métaux ou les acides.
i.Des changements dans la communauté algale (nombre des espèces, diversité, composition des espèces, espèces dominantes) sont souvent observés. Toutefois, les changements dans la dominance peuvent également être dus à d'autres facteurs comme la disponibilité des nutriments, une réduction de la pression de broutage ou le développement d'une tolérance pour un métal par un taxon normalement sensible. Les mesures les plus utiles semblent être la composition et la richesse des espèces.
ii. Peu d'études ont porté sur les répercussions des métaux sur les communautés lacustres de zooplancton crustacéen, en dépit de leur importance alimentaire. On a observé des diminutions de la diversité et de la biomasse totale, ainsi que des changements dans la dominance chez des communautés de zooplancton crustacéen.
iii. La communauté benthique est en contact intime avec les phases aqueuses et sédimentaires et a été largement utilisée comme indicateur de la pollution par les métaux dans les cours d'eau. Dans certaines études portant sur des lacs ayant subi de fortes répercussions, la densité des organismes benthiques s'est avérée un utilisateur utile, bien que ce paramètre puisse ne pas être applicable dans des habitats moins contaminés. L'utilité des mesures de diversité s'est avérée d'une utilité limitée pour la détection des changements au niveau des communautés. On a également utilisé les proportions de taxons tolérants et sensibles comme indices pour la gradation du stress causé par les métaux. Toutefois, la classification de taxons entiers en "tolérants" et en "sensibles" peut ignorer des différences importantes qui peuvent exister entre ceux-ci. Des méthodes améliorée de différentiation taxonomique des animaux benthiques sont nécessaires pour améliorer la mesure du rapport entre la composition d'une communauté et le degré de stress causé par les métaux, ainsi que pour replacer ces effets dans un contexte écologique.
iv. La plupart des études portant sur les communautés de poisson étaient basées sur la préparation de listes des espèces présentes (composition de la communauté), la mesure de la richesse en espèces (nombre d'espèces) ou l'association d'espèces semblant préférer certains habitats, utilisées comme indicateur de la qualité de l'eau.
• Les populations de poisson ne sont pas nécessairement les prédateurs les plus sensibles de l'état futur d'un système. Toutefois, l'utilisation de ces populations présente certains avantages, notamment la facilité relative de la cueillette des données nécessaires pour de telles études (âge des individus, état reproductif, croissance, condition) et l'existence de données historiques permettant des comparaisons. En outre, les données concernant la population sont essentielles pour établir un rapport entre la toxicité chronique, souvent observée in situ chez des individus, et des effets au niveau de la population. Différentes stratégies (r vs k) peuvent être observées chez les populations s'adaptant au stress.
• Bon nombre de population naturelles de poisson semblent tolérer des concentrations de métaux en milieu aqueux correspondant à des doses toxiques aiguës selon des études en laboratoire. Cet écart apparent peut être dû à des différences de différenciation des espèces de métaux. Toutefois, de telles explications restent hypothétiques, étant donné que dans la plupart des études, la chimie du milieu d’exposition (sédiments, colonne d’eau) n’a pas été suffisamment définie.