Introduction
Pour garantir la performance à long terme d’un système de couverture, il est essentiel d’implanter une communauté végétale productive, car celle-ci augmente la résistance du sol à l’érosion, améliore la structure du sol et sa teneur en matière organique, évacue par transpiration l’eau stockée dans le sol, procure un habitat à des espèces sauvages, améliore l’aspect esthétique des lieux et offre de nombreux autres avantages. Cette communauté contribue ainsi de manière importante à la performance du système de couverture, mais la présence physique d’une communauté végétale modifie également l’environnement du système, dans le sol et au-dessus. Or, les changements survenant dans le système de couverture avec l’établissement de la végétation ne sont pas de nature linéaire et ont une multitude d’effets sur les transferts de masse et d’énergie entre l’atmosphère, les plantes et le sol. À titre de composante critique du continuum sol-plantes-atmosphère, la végétation peut énormément altérer la performance du système par rapport à celle qui était attendue.
Pour prédire les effets de la végétation sur la performance d’un système de couverture, on a souvent recours à des modélisations numériques. Cependant, de nombreux codes de modélisation actuellement utilisés par l’industrie des systèmes de couverture ont tendance à trop simplifier la contribution complexe de la végétation à la performance du système. Une végétation productive peut avoir de nombreuses fonctions, en plus d’évacuer l’eau stockée dans le système. Or, pour simplifier l’analyse, de nombreux codes de modélisation emploient une fonction définie par l’utilisateur pour simuler le prélèvement d’eau par les racines et omettent entièrement l’effet de la végétation sur le bilan hydrique et le bilan énergétique de surface. En ignorant ainsi les mécanismes physiques et physiologiques intervenant dans la transpiration végétale, ces codes simplifient l’analyse de manière excessive, et le concepteur de systèmes de couverture risque de mal interpréter certains aspects du modèle qui pourraient avoir un effet critique sur la performance globale du système.
Objectifs
Les approches de modélisation numérique qui ignorent les effets de la présence de végétation et de la dynamique des racines ne prennent pas en compte tous les processus et mécanismes contribuant à la performance du système de couverture. Donc, les codes de modélisation numérique qui omettent les mécanismes physiques et physiologiques de la plante ne peuvent plus convenir pour prédire le comportement d’un système de couverture. Le présent rapport vise à déterminer quelle approche numérique permet le mieux de simuler la végétation dans le cadre de la conception d’un système de couverture. Nous commençons par passer en revue les propriétés physiques, physiologiques et écologiques pertinentes de la végétation, puis nous présentons un sommaire des codes de modélisation actuellement utilisés et des lacunes de chacun. Nous proposons ensuite quelques exemples de modèles dont la formulation permet de prendre en compte de manière exacte les processus végétaux. Nous présentons enfin un ensemble de conclusions et de recommandations.
Sommaire des propriétés de la végétation
À mesure que le système de couverture se développe, les communautés végétales évoluent. Or, les travaux de modélisation numérique fondés sur des paramètres de performance de la végétation ont tendance à produire des simulations qui n’évoluent pas dans le temps, ce qui n’est pas représentatif de la nature dynamique de ces paramètres dans les systèmes naturels. En effet, dès que la végétation s’établit sur une couverture de terre, diverses communautés végétales s’y succèdent jusqu’à ce qu’une communauté à structure stable ait pu occuper les lieux, au bout de nombreuses années. Les analyses de modélisation à long terme devraient donc prendre en compte cette succession.
Par ailleurs, les végétaux cherchent à maintenir un équilibre hydrique interne, en prélevant de l’eau du sol pour remplacer celle qui est évacuée par la transpiration. La quantité d’eau ainsi prélevée par les racines est fonction du gradient négatif de tension existant entre les racines et le sol. Les racines poussent continuellement vers les sources d’eau, et l’utilisation optimale de l’eau disponible dans le sol exige une telle croissance continue. Le système racinaire se développe selon la morphologie particulière de chaque espèce et en fonction des conditions propres à chaque terrain. La configuration des racines d’un arbre dépend donc de l’espèce, ce qui permet de classer les arbres selon que leur système racinaire est cordiforme (tremble), aplati (épinette) ou pivotant (pin). Par exemple, dans la forêt boréale, plus de 80 % de la biomasse racinaire se trouve dans les 30 cm supérieurs du sol, même si les racines les plus fines pénètrent souvent jusqu’à une profondeur de 2 m. Les arbustes se caractérisent par un système racinaire moins profond, avec plus de 70 % de la biomasse racinaire se trouvant à moins de 20 cm. Les racines des graminées se concentrent également près de la surface, plus de 80 % de leur biomasse se trouvant à moins de 30 cm.
L’indice foliaire, ou indice de superficie foliaire, est un paramètre important pour le calcul de la productivité de la plante, mais il est souvent mal utilisé. Les feuilles (ou les aiguilles) servent à recevoir le rayonnement solaire permettant de convertir le CO2 en glucides. Plus la superficie foliaire de la plante augmente, plus sa productivité augmente également, jusqu’au point où la plante fait de l’ombre sur ses propres feuilles, ce qui réduit les gains de productivité. Les analyses de modélisation classiques utilisent l’indice foliaire comme principal déterminant de la transpiration. Il existe effectivement une corrélation entre la transpiration et l’indice foliaire, mais cet indice correspond à un facteur génétique qui détermine avant tout la productivité, et non seulement le prélèvement d’eau comme le supposent ces analyses de modélisation. La plante ayant un accès illimité à de l’eau accroîtra son indice foliaire jusqu’à un maximum dépendant de l’espèce et de la morphologie des feuilles. L’utilisation de l’indice foliaire comme principal déterminant de la transpiration est donc une interprétation simpliste, car elle fait négliger des processus physiologiques importants.
Enfin, la transpiration est un processus physique régi par le gradient hydraulique global du continuum sol-plantes-atmosphère. Les restrictions imposées par la plante sont analogues à une résistance électrique, ce qui permet d’utiliser la loi d’Ohm pour obtenir une bonne représentation théorique de l’ensemble du processus de transpiration. En imaginant ainsi des résistances qui seraient exercées par les racines, les tiges et les feuilles, on peut formuler intuitivement des équations mathématiques décrivant la transpiration. La résistance qui présente le plus d’intérêt du point de vue de la transpiration est la résistance stomatique, qui permet à la plante de contrôler son taux de transpiration. Ce taux varie au cours de la journée et au cours de la saison de végétation, en réaction à certains facteurs climatiques, biotiques et abiotiques.
Modèles du système racinaire
Pour modéliser la contribution de la végétation à la performance du système de couverture, il faut tenir compte des processus et mécanismes agissant au-dessus et en dessous de la surface du sol. La modélisation du prélèvement d’eau par les racines est généralement fondée sur un schéma microscopique décrivant le prélèvement individuel par chaque racine, ou sur un schéma macroscopique décrivant le prélèvement d’eau par l’ensemble diffus de racines occupant une couche donnée du sol. L’approche microscopique est souvent trop détaillée pour les besoins d’un modèle de bilan hydrique, tandis que l’approche macroscopique a tendance à trop simplifier la géométrie des racines. Le concepteur de systèmes de couverture doit donc être conscient des avantages et inconvénients de chaque approche et choisir celle qui convient le mieux aux objectifs précis de chaque système.
Les racines doivent pousser pour que la plante puisse exploiter l’eau et les éléments nutritifs du sol. Il est souhaitable de modéliser cette croissance, particulièrement pour les modèles de bilan hydrique, car les racines peuvent pousser plus profondément à mesure que la surface du système de couverture se dessèche. Or, la croissance des racines est constituée d’un ensemble de processus concurrents et séquentiels comprenant la prolifération, l’extension, la sénescence et la mort. Dans les systèmes naturels, la croissance des racines exige un transfert de biomasse à partir des parties de la plante où se déroule la photosynthèse. Pour modéliser la croissance des racines, il faudrait estimer le rayonnement photosynthétiquement actif, l’indice foliaire, la teneur en eau des feuilles, l’ouverture des stomates, la teneur de l’atmosphère en CO2 et le transfert de biomasse. Le modèle ROOTSIMU, qui vise à la fois le prélèvement par les racines et la croissance des racines, a été utilisé pour prendre en compte la photosynthèse, la respiration, la transpiration et les processus hydrauliques du sol. Malgré l’existence de modèles de croissance des racines, la nécessité d’estimer la production de carbone de la plante pour pouvoir simuler l’accumulation de biomasse dans les racines a probablement limité l’adoption de ces modèles pour le suivi du bilan hydrique.
Sommaire des codes de modélisation actuels
De nombreux codes numériques permettent une simulation du bilan hydrique et du microclimat du sol superficiel. Le degré de complexité et la cible principale de chaque modèle dépendent de l’usage auquel il est destiné. Les modèles écophysiologiques tels que ceux élaborés pour l’industrie forestière ont pour cible principale le couvert végétal. Les modèles FOREST BGC et MAESTRO, par exemple, fournissent une estimation très détaillée des bilans carboné et azoté de la végétation. Le bilan hydrique du sol doit être calculé puis servir d’intrant pour l’estimation du bilan carboné.
Dans de nombreux codes numériques employés pour la conception de systèmes de couverture, la végétation est considérée comme un simple puits pour l’eau du sol, et ces codes omettent le transfert turbulent de masse et d’énergie se produisant dans le couvert végétal. Certains codes de modélisation fréquemment utilisés, comme les codes UNSAT H et VADOSE/W, reposent sur une interprétation simpliste de la végétation, ce qui leur fait négliger les effets importants de la végétation dans l’ensemble du continuum sol-plantes-atmosphère. Le code HYDRUS intègre un modèle rigoureux de la concentration des solutés et de leur prélèvement par la plante et prend en compte l’effet du stress osmotique sur le prélèvement d’eau par la plante. Cependant, dans le code HYDRUS, ce prélèvement est toujours considéré comme un puits et non comme un processus régi par les conditions atmosphériques.
La manière idéale de simuler la végétation dans les systèmes de couverture consisterait à faire en sorte que le couvert végétal simulé réagisse de manière conforme aux contraintes physiques imposées par la physiologie des plantes. De plus, comme le couvert végétal modifie de manière importante les conditions atmosphériques existant à proximité de la surface, le modèle doit prendre en compte les changements de masse, d’énergie et de quantité de mouvement causés par les plantes. Le modèle FASST (Fast All-Season Soil Strength) permet une estimation rigoureuse du bilan couplé de l’eau et de l’énergie et un calcul des transferts de masse et d’énergie survenant à l’interface air-végétation-neige-sol. Ce modèle simule spécifiquement le transfert d’énergie radiative s’opérant à travers le couvert végétal jusqu’à l’intérieur du sol. Il prend en compte de manière explicite le transfert turbulent induit par le couvert végétal, en intégrant comme paramètres la hauteur et le coefficient de rugosité de la végétation. Cependant, l’aspect le plus important du modèle est que la transpiration est simulée sous forme de composante du continuum sol-plantes-atmosphère, régie par la résistance stomatique et donc par le déficit de pression de vapeur. La transpiration est reliée à la teneur en eau du sol par un terme décrivant la résistance s’exerçant entre le sol et les racines. Le modèle SHAW (Simultaneous Heat and Water) est quant à lui un modèle de processus unidimensionnel détaillé qui permet de simuler le transfert de chaleur et d’eau dans un système plantes-neige-résidus-sol pour estimer le bilan couplé de l’eau et de l’énergie. Le modèle SHAW a l’avantage particulier d’établir un lien mécanique entre la transpiration et la teneur en eau du sol en calculant le flux traversant les racines et les feuilles dans le continuum sol-plantes-atmosphère tout en respectant l’équilibre énergétique de la feuille. Contrairement au modèle VADOSE/W, le modèle SHAW établit un bilan d’énergie rigoureux et entièrement couplé et calcule séparément l’évaporation du sol et la transpiration. Les modèles SHAW et FASST sont d’excellents exemples d’intégration des processus végétaux à un modèle numérique, car les transferts de masse et d’énergie s’opérant au sein du couvert végétal y sont simulés de manière explicite. Cependant, aucun code de modélisation ne permet à lui seul de prendre en compte de manière exacte et détaillée tous les déterminants physiques et physiologiques du transfert de masse, d’énergie et de quantité de mouvement au sein du continuum sol-plantes-atmosphère. Le concepteur de systèmes de couverture doit donc en tenir compte au moment de déterminer quel modèle convient le mieux. Quoi qu’il en soit, dans le cadre de la modélisation, il n’est plus justifié de considérer la végétation comme un simple puits. Nous recommandons plutôt que les analyses de modélisation futures prennent en compte les divers déterminants physiques et physiologiques de la transpiration.