Environnement Canada mène actuellement une revue décennale du Réglement fédéral sur les effluents des mines de métaux (REMM) régissant les activités de rejet des effluents des 105 mines métallifères actives au Canada (à compter de 2010). Environ 60 nouvelles mines supplémentaires sont en processus d’approbation et seront vraisemblablement ajoutées au programme dans les années à venir.
Le REMM stipule non seulement les limites de décharge de contaminants pour l’arsenic, le cuivre, le cyanure, le plomb, le nickel, le zinc, le total des solides en suspension et le radium 226, mais il exige aussi que les mines procèdent à des Études de suivi des effets sur l’environnement (ESEE) sur le terrain aux trois ans. Dans le cadre de ces études biologiques, les mines examinent, en aval de leur site d’exploitation, des paramètres comme l’âge, le poids et l’état des poissons, ainsi que la taille de leurs gonades et la grosseur de leur foie, pour évaluer si leurs activités ont des effets sur le milieu récepteur. Les ESEE sont spécialement conçues pour détecter les effets éventuels sur le milieu en aval, et ce, même si les mines respectent la réglementation en vigueur. Les résultats de ces études, lorsqu’ils sont évalués au niveau national, favorisent l’amélioration continue des lignes directrices du REMM.
Les ESEE portent sur deux questions distinctes essentielles :
1) Une mine donnée a-t-elle des effets sur le milieu récepteur?
2) Les mines de métaux ont-elles des effets d’ordre national sur les milieux en aval?
Dans le cadre de la revue décennale du REMM, Environnement Canada a créé un groupe multilatéral chargé d’offrir des conseils au ministre de l’Environnement sur les changements à apporter au Règlement sur les effluents des mines de métaux.
Pour se pencher sur cette question, Environnement Canada a entrepris deux revues d’envergure des données environnementales recueillies par des sociétés minières au cours de la dernière décennie. En 2010, le secteur d’extraction des métaux a été jugé conforme aux limites de décharge permises par le REMM pour l’arsenic, le cuivre, le nickel, le zinc, le radium 226 et le pH dans 99 % des cas (Environnement Canada, 2012c). Durant la Deuxième évaluation nationale des données des études de suivi des effets sur l’environnement des mines de métaux visées par le Règlement sur les effluents des mines de métaux (Environnement Canada, 2012b), une méta-analyse de toutes les ESEE a cependant permis de découvrir que les poissons en aval des mines de métaux étaient, en moyenne, plus maigres et plus vieux, et que leur croissance était plus lente.
Dans le cadre du programme d’ESEE d’origine, un effet est simplement défini comme une différence significative entre une zone de référence et un site exposé. Le guide technique actuel n’exige qu’un site de référence et qu’un site exposé seulement. Puisqu’elle est pseudo-dupliquée, il est très probable que l’étude, avec suffisamment de pression, mette à jour une différence significative entre les sites de références et les sites exposés. EC a donc recommandé que des seuils critiques des effets, ou une différence seuil entre les sites de références et les sites exposés, soient mis en application. Le document de travail de 2012 déclare ce qui suit :
« Dans la mesure où une différence statistiquement significative n'indique pas nécessairement un niveau de risque pour l'environnement, selon la conception du Programme d’études de suivi des effets sur l’environnement, on a envisagé que des efforts de suivi accrus (comme des études approfondies) doivent être axés sur les mines démontrant les effets les plus préoccupants. Des seuils critiques d'effet (définis comme étant des seuils au-delà desquels les effets peuvent indiquer un risque potentiel plus élevé pour l'environnement) ont été mis au point pour les volets d’étude portant sur la population de poissons et la communauté d'invertébrés benthiques du Programme d’études de suivi des effets sur l'environnement du Règlement sur les effluents des mines de métaux » (Environnement Canada, 2012c).
À la lumière de ces défis, on se demande si les conclusions de la Deuxième évaluation nationale sont suffisamment informatives et quels changements peuvent et doivent être apportés au programme d’ESEE.
L’Association minière du Canada a lancé deux autres études sur les données d’ESEE. Même si aucune n’a dupliqué la méta-analyse de la Deuxième évaluation nationale, ces deux études ont toutefois remis la méthodologie des ESEE en cause et suggéré que les résultats de la Deuxième évaluation nationale découlaient de facteurs de confusion. Les deux rapports appuyaient la mise en application des SCE, tout en suggérant que d’autres changements soient apportés aux ESEE, notamment l’utilisation de la correction de Bonferroni sur le niveau de signification pour justifier l’exécution de tests multiples.
Pour renseigner nos recommandations en matière de politique, nous avons entrepris notre propre méta-analyse desdites données pour déterminer si les lignes directrices du REMM protègent le milieu récepteur à l’échelle nationale et comment les changements méthodologiques suggérés par Environnement Canada et l’Association minière du Canada influenceraient l’interprétation des résultats des études de suivi. Les résultats de notre méta-analyse confirment largement les constatations d’Environnement Canada relatives à la détérioration de l’état des poissons en aval des mines de métaux communs (phases 1, 2 et 3/4) et précieux (phases 2 et 3/4), bien que nous n’ayons observé une baisse du poids selon l’âge que dans les données de phase 2 des mines de métaux communs (tableau 1). Contrairement aux résultats d’Environnement Canada tirés de la Deuxième évaluation nationale, nous avons observé des hypertrophies du foie durant les phases 1 et 2 pour les mines de métaux communs et la phase 2 pour les mines de métaux précieux. Les effets sur la taille des gonades variaient d’une phase à l’autre (tableau 1). Nous avons été fortement ralentis par le manque de données à disposition pour évaluer les mines de minerai de fer, d’uranium et d’autres métaux durant les phases 1 et 2 de l’analyse, tandis que les résultats de phase 3/4 n’ont démontré aucun effet sur les paramètres pour les mines d’uranium ou d’autres métaux (données incomplètes pour évaluer la taille des gonades et le poids selon l’âge) et confirmé la réduction de la taille du foie et l’amélioration de l’état pour les mines de minerai de fer. Une fois regroupées par type de mine et phase, les données de notre analyse démontrent la détérioration de l’état, la réduction du poids selon l’âge et la hausse de la grosseur du foie. Cet effet est vraisemblablement provoqué par les mines de métaux communs et précieux. Il est frappant de noter que les effets sont détectables malgré la vaste gamme de milieux récepteurs qui sont soumis au REMM et conséquemment inclus dans la présente étude. Ces résultats doivent cependant être interprétés prudemment : nous avons été ralentis par un certain nombre de problèmes relatifs à la qualité des données et quelques mines ne sont que depuis récemment incluses dans le programme. Notre ensemble de données est ainsi sous-représenté pour les mines de minerai de fer, d’uranium et d’autres métaux.
Notre analyse indique aussi que l’utilisation des seuils critiques des effets (SCE) réduirait de plus de moitié le nombre d’essais comportant une cote d’échec. Cela aura une grande incidence sur le taux de résultats faussement positifs obtenus dans le cadre du programme d’ESEE. L’utilisation de la correction de Bonferroni a aussi été suggérée pour corriger le gonflement des résultats faussement positifs associé à l’exécution de tests multiples. Notre analyse n’appuie cependant pas la conclusion voulant que le non-respect des paramètres par les mines au Canada soit attribuable au hasard, requérant ainsi l’utilisation d’une correction de Bonferroni. La plupart des mines jugées non conformes dans le cadre d’ESEE le sont par rapport à plus d’un paramètre et le nombre d’échecs connexes, même corrigés pour correspondre aux SCE, est grandement supérieur à celui qu’on pourrait attribuer au hasard. De plus, la correction de Bonferroni est réputée très conservatrice, particulièrement lorsque le nombre de tests augmente et gonfle l’erreur de type II.
Nous concluons ainsi qu’il y a bel et bien des effets biologiques mesurables en aval des mines de métaux à l’échelle du Canada, surtout des mines de métaux communs et précieux. Nous concluons aussi que la mise en pratique des seuils critiques des effets influencera avantageusement le taux de résultats faussement positifs des ESEE, mais qu’aucune preuve ne suggère que le non-respect des paramètres des ESEE est dicté par la stochasticité. La mise en pratique de la correction de Bonferroni serait ainsi vraisemblablement trop conservatrice et provoquerait la baisse de la protection du milieu.