SOMMAIRE
Dans le cadre du programme d'évaluation des techniques de mesure d'impacts en milieu aquatique, on a entrepris un examen critique portant sur l'utilisation de substrats artificiels pour la collecte d'échantillons d'invertébrés benthiques et sur l'utilité et les limites de cette méthode en tant qu'outil économique de surveillance environnementale pour l'industrie minière canadienne. Cet examen comportait une étude de la dynamique de la colonisation, qui influe sur la performance des substrats artificiels, une évaluation des points forts et des faiblesses de l'échantillonnage effectué avec des substrats artificiels, comparativement aux techniques d'échantillonnage traditionnelles, et une évaluation détaillées de quatre classes de substrats artificiels qui pourraient se révéler utiles pour la surveillance environnementale dans l'industrie minière. Les avantages et les inconvénients de chaque dispositif ont été comparés au moyen d'une série cohérente de critères, notamment la fiabilité des données, la facilité et la commodité d'utilisation et le coût.
Les substrats artificiels ont effectivement une place au sein d'un programme économique de biosurveillance pour l'industrie minière canadienne. Cependant, il n'y a aucun avantage à utiliser des substrats artificiels dans les cours d'eau peu profonds ou dans les cours d'eau dont le fond est en galets ou en gravier, car dans ce cas, les techniques d'échantillonnage traditionnelles produisent des données au moins aussi fiables sans occasionner un grand nombre des inconvénients et des difficultés liés aux substrats artificiels. Les substrats artificiels devraient donc plutôt être réservés pour les endroits où l'échantillonnage traditionnel est inefficace ou impraticable, notamment 1) dans les cours d'eau très profonds ou turbides, 2) dans les cours d'eau au fond mou ou instable en sable, en boue ou en vase organique, 3) dans les cours d'eau dont le fond est constitué de l'assise rocheuse non brisée ou de gros blocs erratiques et 4) dans les cours d'eau soumis à des courants torrentiels. Par ailleurs, l'emploi des substrats artificiels n'est pas justifié dans les cours d'eau peu profonds à fond rocheux où la variation du type d'habitat est relativement mineure compte tenu du terrain étudié et où on peut s'attendre à trouver une faune abondante et diversifiée. On peut faire exception à cette règle si la zone étudiée comporte à la fois des habitats à fond dur et des habitats à fond mou et si on souhaite que la méthode d'échantillonnage soit uniforme.
En plus de rendre possible l'échantillonnage des habitats qui seraient autrement difficiles à échantillonner efficacement, les substrats artificiels permettent une sélection plus flexible des points d'échantillonnage que l'échantillonnage traditionnel et ils permettent de comparer les effets environnementaux des effluents le long de cours d'eau où le macrohabitat n'est pas constant, comme les zones sujettes à l'érosion en amont et les zones recevant les dépôts en aval. Les substrats artificiels fournissent des échantillons comportant des organismes plus nombreux et plus divers que les échantillons traditionnels, articulièrement dans les habitats lénitiques ou recevant des dépôts, mais ils réduisent la variabilité de la densité des organismes d'un échantillon à l'autre ce qui augmente la sensibilité du programme d'échantillonnage car on peut alors déceler des différences plus faibles d'un endroit à l'autre.
Pour utiliser avec succès les substrats artificiels, il faut avoir préalablement un objectif clair et précis et comprendre exactement ce que les substrats artificiels sont capables de mesurer. La communauté des invertébrés recueillis sur un substrat artificiel est un indicateur de la qualité de l'eau uniquement pendant la période d'exposition. Ces échantillonneurs ne permettent pas 1) de mesurer la composition de la faune benthique indigène, 2) d'indiquer l'état de l'habitat mis à part la qualité de l'eau, 3) d'estimer la disponibilité des organismes qui servent de nourriture ou 4) d'intégrer les effets à long terme de la pollution. Les échantillonneurs fonctionnent essentiellement comme un essai de toxicité visant plusieurs espèces, effectué sur place et qui utilise comme paramètre de mesure le succès de la colonisation des organismes qui dérivent et qui migrent. Une comparaison soigneuse de la composition de la communauté dans les échantillons prélevés avec des substrats artificiels, au-dessus et au-dessous d'une source ponctuelle comme un effluent minier, peut renseigner sur la nature, la gravité et l'étendue des effets potentiels sur l'environnement, ce qui constitue un des objectifs des programmes de biosurveillance.
Les substrats artificiels ne permettent pas de recueillir un échantillon représentatif du benthos indigène à l'endroit où ils sont placés, mais plutôt de choisir des espèces mobiles, susceptibles de dériver à partir de substrats dures. Ils indiquent donc l'effet potentiel d'un effluent ou d'une perturbation et non pas leur effet réel. De plus, ils ne permettent pas de surveiller efficacement les effets sur le biota aquatique des sédiments ou des produits toxiques fixés à des sédiments parce que les taxons qui habitent les sédiments ont tendance à être sous-représentés dans les échantillons de substrats artificiels. Il s'agit là d'un inconvénient potentiellement important de l'utilisation des substrats artificiels pour surveiller les effets de l'exploitation minière parce que les métaux ont tendance à se séparer sur des sédiments fins qui ne sont pas efficacement prélevés à l'aide des substrats artificiels.
Les autres limites des substrats artificiels sont les suivantes :
- Ils peuvent conduire à une surestimation de la gravité réelle d'un effluent ou d'une perturbation parce que les organismes vagiles qui colonisent les échantillonneurs peuvent se mettre de nouveau à dériver, ce qui réduit la diversité des espèces et risque d'interrompre la séquence prévue ;
- Ils nécessitent une longue période de colonisation et la dynamique de la colonisation, et donc les temps d'exposition optimaux, ne sont pas complètement connus ;
- Ils exigent deux voyages pour chacun des échantillons, ce qui double en fait le coût de l'échantillonnage sur le terrain comparativement à l'échantillonnage classique ;
- Ils sont sujets à des pertes causées par des accidents, des crues et du vandalisme, ce qui crée des lacunes irréparables dans les données et se rajoute au coût des travaux sur le terrain ;
- Ils peuvent être encombrants, lourds et difficiles à manutentionner et à transporter ; la logistique du déploiement sur le terrain est souvent compliquée ;
- Des organismes peuvent être perdus au moment de la récupération de l'échantillonneur, particulièrement en eau profonde où il n'est pas possible d'utiliser un filet.
Quatre types d'échantillonneurs à substrat artificiel peuvent être utiles pour la surveillance environnementale de l'industrie minière canadienne : les échantillonneurs à plaques multiples, les plateaux Beak, les paniers garnis de roches et les plateaux garnis de roches. Les paniers garnis de roches sont particulièrement recommandés pour la plupart des applications liées à la surveillance des effluents miniers pour les raisons suivantes : 1) ils reproduisent de très près le comportement des substrats naturelles, 2) ils permettent de normaliser la surface parcourue parl'échantillonneur, 3) ils fournissent un microhabitat abondant pour la colonisation, 4) ils produisent une faible variabilité entre des réplicats, 5) ils sont raisonnablement stables dans les courants et 6) ils sont faciles et peu coûteux à construire. Les plateaux Beak sont recommandés dans le cas particulier de l'échantillonnage de gros cours d'eau rapides avec des substrats instables, pour lesquels les autres techniques d'échantillonnage seraient inefficaces, dangereuses ou risqueraient d'échouer. Bien qu'ils permettent de recueillir des échantillons moins représentatifs que les paniers garnis de roches, les échantillonneurs à plateaux multiples ont l'avantage d'être petits et faciles à utiliser et ils peuvent se révéler utiles pour échantillonner de gros cours d'eau à fond mou lorsque l'échantillonnage du fond est difficile ou impossible. Les plateaux garnis de roches sont très prometteurs, mais ils devraient être considérés comme étant au stade expérimental pour le moment.
La meilleure façon d'utiliser les substrats artificiels consiste à en faire un élément d'un programme en plusieurs parties comportant des mesures de la faune indigène, de la qualité de l’eau ou des sédiments et peut-être des essais de toxicité en laboratoire, ces parties étant combinées pour tracer un tableau clair de l'état du système et de l'effet des effluents miniers. L'efficacité de l'échantillonnage serait améliorée de beaucoup si on utilisait des échantillonneurs plus petits et si on augmentait le nombre de réplicats. Nous recommandons l'utilisation du plus petit échantillonneur possible, dont la capacité dans le cas des paniers garnis de roches est de 2500 cm3, et d'augmenter le nombre de réplicats à au moins six, en prévoyant un nombre plus élevé au cas où des échantillonneurs seraient perdus. On recommande une période d'exposition de six semaines, considérée opt imale pour les substrats artificiels servant à la biosurveillance. La période d'étiage qui va de la fin de l'été jusqu'au début de l'automne est habituellement le meilleur moment pour effectuer l'échantillonnage des invertébrés benthiques, quel que soit le substrat artificiel. Lorsque les conditions le permettent, l'échantillonneur devrait être placé sur le fond du plan d'eau pour qu'on puisse profiter de toutes les sources de colonisation. Les échantillonneurs suspendus dans la colonne d'eau peuvent encore être efficaces, mais ils sont plus difficiles à déployer.
Les filets à maille fine ou d'autres moyens devraient être utilisés pour réduire au minimum les pertes d'invertébrés pendant le retrait de l'échantillonneur. Un certain nombre de variables environnementales (pH, oxygène dissous, conductivité, température, vitesse du courant, profondeur) devraient être mesurées lorsque les échantillonneurs sont mis en place et de nouveau, lorsqu'ils sont récupérés. La mesure de la croissance du périphyton ou de l'accumulation des détritus dans les échantillonneurs peut faciliter l'interprétation des données et elle est fortement recommandée.
Les données limitées dont on dispose donnent à penser que les substrats artificiels sont des outils prometteurs pour évaluer l'impact environnemental de l'exploitation minière sur les lacs, mais il existe trop peu de données pour permettre d'effectuer une évaluation détaillée. Ce manque d'information devrait être comblé grâce à une étude simple consistant à comparer les populations d'invertébrés benthiques à des populations colonisant des substrats artificiels dans un lac ou dans des lacs dont les substrats possèdent des caractéristiques différentes. Cette étude devrait comporter une comparaison des populations d'invertébrés dans un lac ou dans une partie d'un lac recevant un effluent minier.