SOMMAIRE
INTRODUCTION
Dans le cadre du Programme d’évaluation des techniques de mesure d’impacts en milieu aquatique (ETIMA), un examen des méthodes couramment utilisées au Canada pour évaluer les effets de l’exploitation minière des métaux sur les poissons au Canada a été réalisé. Le Comité technique de l’ETIMA a d’abord procédé à une sélection des outils de surveillance pouvant être appliqués à tous les niveaux d’organisation biologique (du niveau chimique à l’échelle des communautés) en se fondant sur : a) l’efficacité démontrée de chacun de ces outils sur le terrain; b) le rapport coût-efficacité de chaque outil. Dans le présent rapport, ces méthodes sont décrites et évaluées de façon objective, à la lumière des résultats d’une étude documentaire et de plusieurs études de cas récentes, en fonction de leur utilité relative comme outil de surveillance pour l’industrie minière (les méthodes de dosage des métallothionéines et d’examen histopathologique sont exclues de la présente évaluation, car elles font l’objet de rapports distincts). Les méthodes de relevés applicables aux poissons adultes et aux communautés de poissons sont examinées en détail.
Les critères suivants ont orienté l’évaluation des outils de surveillance :
- pertinence au plan écologique;
- aptitude à mettre en évidence les effets d’une exposition aux contaminants générés par l’exploitation minière;
- capacité d’alerte rapide;
- sensibilité et spécificité des outils et temps de réponse aux métaux et aux faibles valeurs de pH;
- contraintes techniques et coût d’application;
- existence de firmes d’experts-conseils ou de laboratoires capables de fournir les services requis par les méthodes.
Des recommandations concernant l’utilisation des méthodes d’évaluation des effets des effluents miniers sur la contamination et la santé des populations et des communautés de poissons qui ont été examinées ont été formulées en considération des objectifs et du format établis pour un programme de suivi des effets sur l’environnement (SEE) pour l’industrie minière dans le cadre d’AQUAMIN (1996) et des résultats des programmes de SEE réalisés par les industries des pâtes et papiers canadienne et suédoise.
ÉVALUATION VALUATION DES MÉTHODES
Concentrations de métaux dans les tissus
Les concentrations de métaux dans les tissus des poissons reflètent (à des degrés divers) le niveau d’exposition de ces organismes aux effluents contaminés par des métaux. Parmi les diverses méthodes examinées, ce sont les méthodes de dosage des concentrations de métaux dans les tissus qui présentent les réponses les plus spécifiques aux fortes concentrations de métaux dans l’environnement. Ces méthodes sont relativement simples et peu coûteuses à appliquer et sont largement accessibles. Comme les concentrations de métaux dans les tissus varient selon le type de tissu, l’espèce, la taille des poissons (parmi d’autres facteurs), elles doivent être normalisées ou contrôlées lors des évaluations des concentrations de métaux accumulées dans les tissus des poissons.
Marqueurs biologiques
Bien que les méthodes de détermination au niveau biochimique (utilisant des marqueurs biologiques) puissent présenter des réponses spécifiques à certains types de contaminants et servir d’indicateurs rapides d’effets s’exerçant à des niveaux d’organisation supérieurs (plus importants au plan écologique), ces caractéristiques n’ont pas été observées dans la majorité des études des effets des activités minières sur l’environnement. En outre, les temps de réponse relativement rapides de nombreux marqueurs biologiques observés en présence de fortes concentrations de métaux et les effets non négligeables des facteurs de confusion naturels ou d’autre type contribuent à accroître suffisamment la variabilité de fond pour exclure l’utilisation de ces marqueurs dans le cadre de programmes comportant une fréquence d’échantillonnage annuelle ou pluriannuelle, comme c’est le cas pour un grand nombre de programmes de SEE d’envergure nationale.
Pour les études comportant un effort et une fréquence d’échantillonnage plus élevés, telles les enquêtes visant à cerner les causes d’effets écologiques observés, certains marqueurs biologiques peuvent fournir des informations utiles (p. ex. certaines enzymes comme la delta-aminolévulinate déhydratase dont l’activité est induite par des métaux spécifiques, ou des déséquilibres ioniques internes causés par de faibles valeurs de pH).
Pathologie des tissus
Les méthodes utilisées pour l’examen sommaire de la pathologie des tissus ne diffèrent pas véritablement des méthodes d’examen histopathologique. Des études de la taille, de la couleur, de la forme et du nombre de lésions en relation avec les concentrations de métaux présentes dans l’environnement ont été réalisées pour les muscles, le foie, les gonades, le squelette et les structures dermiques, la rate et les branchies. Les facteurs de stress tant généraux que spécifiques ont une incidence sur la structure des tissus. Les effets qui reflétaient le mieux les niveaux d’exposition aux métaux et permettaient le mieux de prévoir les effets détectables à des niveaux d’organisation supérieur étaient les lésions squelettiques et dermiques induites par le Cd et les faibles valeurs de pH ainsi que les lésions des branchies résultant d’une exposition à de fortes concentrations de métaux et à de faibles valeurs de pH. Comme bon nombre des méthodes biochimiques, l’examen pathologique des tissus semble plus utile pour les études approfondies que pour les activités de surveillance courantes.
Organismes
Dans le cadre de la présente évaluation, une attention spéciale a été accordée à trois variables qui sont fréquemment mesurées dans le cadre de relevés de poissons, à savoir la croissance, la reproduction et la condition. La croissance est définie comme le changement de taille (poids et longueur) qui se produit dans le temps (âge). La mesure de la croissance est une opération relativement simple et peu coûteuse, sauf si des méthodes spécialisées et coûteuses doivent être utilisées pour déterminer l’âge. Ce paramètre fournit des indications écologiques pertinentes et est affecté par la contamination par les métaux et les faibles valeurs de pH. La croissance (c.-à-d. taille et âge) peut habituellement être mesurée à partir d’échantillons de poissons capturés en tout temps de l’année et à n’importe quelle fin.
La reproduction est habituellement assimilée à l’effort de reproduction ou exprimée par la fécondité ou le poids des gonades par rapport à la taille du corps. La reproduction est la variable liée au cycle de vie la plus sensible chez le poisson. Les effets sur la reproduction devraient se manifester en moins d’une année, le tissu reproducteur étant habituellement renouvelé chaque année. Il est relativement peu coûteux de mesurer la fécondité et le poids des gonades. L’effort de reproduction doit être mesuré avant la fraye, alors que les gonades sont bien développées.
La condition, définie comme le rapport du poids à la longueur totale (c.-à-d., « adiposité »), peut être utilisée comme un indice général du bien-être. Cette variable n’est pas particulièrement sensible, spécifique ou pertinente au plan écologique. Toutefois, les coûts associés à la mesure du poids et de la longueur de poissons capturés à d’autres fins en vue d’évaluer leur condition sont habituellement négligeables.
Population
Les effets des activités minières sur les populations de poissons peuvent être mesurés directement ou indirectement. Les études directes mesurent les abondances relatives (habituellement exprimées en prises par unité d’effort, ou PPUE). Ce type d’étude exige souvent le prélèvement de grands échantillons (nombre de poissons et de stations d’échantillonnage). Les valeurs de PPUE et les autres estimations de l’abondance présentent souvent des variances élevées. C’est pourquoi les biologistes des pêches préfèrent souvent suivre ou évaluer les fluctuations d’abondance de façon indirecte, en se fondant sur la croissance, la reproduction et la mortalité. Les relevés des poissons adultes (RPA) utilisent cette approche indirecte pour le suivi des effets sur l’environnement. Ces relevés sont fondés sur l’étude de la croissance, de la reproduction et de la structure par âge (en remplacement de la mortalité) et, habituellement, de la condition et de certaines variables intéressant les tissus (p. ex. taille du foie). Le nombre de poissons et de stations d’échantillonnage requis pour un tel inventaire est moindre que pour une étude directe de la population fondée sur le PPUE. En revanche, l’analyse des échantillons prélevés dans le cadre d’un RPA coûte plus cher, car il faut disséquer les poissons, compter les oeufs et déterminer l’âge des poissons.
Communauté
L’étude d’une communauté de poissons (ECP) est une étude directe de la population étendue à plusieurs espèces. De toute évidence, le nombre de poissons et de stations d’échantillonnage est alors plus élevé que pour l’étude d’une seule population. Par contre, le coût du traitement des échantillons est souvent peu élevé, car il suffit d’identifier et de dénombrer les poissons.
Relevé des poissons adultes
Dans une perspective coût-efficacité, les RPA peuvent être fort utiles pour évaluer les effets de l’activité minière à l’échelle d’une population, mais seulement dans la mesure où les conditions suivantes sont respectées :
- L’espèce étudiée est suffisamment abondante pour fournir des échantillons d’une taille appropriée (=disponibilité).
- Le niveau d’exposition aux facteurs de stress étudiés (p. ex. métaux) varie d’une station d’échantillonnage à une autre (=exposition).
- L’âge, la croissance et la reproduction peuvent être mesurées de façon précise et exacte à un coût raisonnable (=mesure).
La séquence disponibilité→exposition→mesure peut orienter la conception et l’évaluation d’un RPA. Ces trois conditions sont essentielles au succès d’un RPA. Or, de nombreux relevés effectués pour le compte du secteur des pâtes et papiers ne respectaient pas ces trois critères.
La plupart des RPA ont été réalisés avec des poissons de taille moyenne à grande (p. ex. meuniers, perchaudes). Cependant, dans bien des cas, l’utilisation d’espèces de poissons de plus petite taille ou même de bivalves convient tout aussi bien, sinon davantage. Le principal inconvénient lié à l’utilisation de poissons de petite taille réside dans le fait que certaines espèces peuvent effectuer plusieurs pontes au cours d’une même période de fraye. Dans ces conditions, il devient presque impossible d’estimer l’effort de reproduction, le tissu reproducteur des poissons « multifrayes » étant renouvelé plusieurs fois au cours d’une même saison. D’après les quelques données disponibles, il semble que cette stratégie de reproduction (pontes multiples) s’observe rarement parmi les espèces qui vivent à des latitudes plus élevées ou parmi celles qui veillent sur leur progéniture ou produisent des oeufs de grande taille.
Idéalement, les stations d’échantillonnage utilisées pour les RPA doivent présenter des conditions semblables mis à part, évidemment, le degré d’exposition aux facteurs de stress. Comme les RPA et certaines variables comme l’âge, la croissance et la reproduction sont non spécifiques et fluctuent sous l’influence de divers facteurs, les plans d’étude doivent permettre d’éliminer le plus grand nombre de facteurs de confusion possible. Les méthodes et l’effort d’échantillonnage peuvent varier selon l’espèce étudiée et les caractéristiques des stations d’échantillonnage, mais ils doivent permettre d’obtenir des échantillons d’une taille suffisamment grande (habituellement ≥20 poissons/sexe/ espèce/station d’échantillonnage).
Au Canada comme en Suède, on a largement eu recours aux RPA pour surveiller les effets des effluents des usines de pâtes et papiers sur les écosystèmes aquatiques. En revanche, ce type de relevé a été appliqué beaucoup plus rarement au secteur minier, et ce même si les variables requises avaient souvent déjà été mesurées sur des échantillons prélevés à d’autres fins (p. ex. dosage des concentrations de métaux dans les tissus).
Dans une perspective coût-efficacité, les RPA représentent dans l’ensemble le meilleur outil à des niveaux d’organisation supérieurs pour la surveillance des effets des activités minières sur les écosystèmes aquatiques. C’est la raison pour laquelle cette stratégie est recommandée pour un programme SEE. Toutefois, l’expérience acquise dans le cadre du programme SEE réalisé pour le compte du secteur des pâtes et papiers révèle que cette approche ne convient pas à tous les sites miniers. Il convient donc d’élargir l’éventail des espèces cibles de manière à inclure les espèces de poissons de plus petite taille et les bivalves et d’envisager l’application d’une autre stratégie comme l’étude des poissons à l’échelle de la communauté (ECP) lorsque cette option paraît souhaitable.
Étude de la communauté des poissons
L’ECP peut prendre la forme de simples relevés qualitatifs visant à confirmer la présence ou l’absence de quelques taxons ou guildes indicateurs ou d’études quantitatives approfondies reposant sur des analyses multivariées ou le calcul d’indices synthétiques (p. ex. indice d’intégrité biotique ou IIB). Dans une ECP, les unités de répétition de base sont les stations d’échantillonnage choisies à l’intérieur de zones plus vastes présentant des degrés d’exposition différents aux facteurs de stress, et non pas chaque poisson considéré individuellement. Aux fins d’une telle étude, il faut prévoir au moins 5 stations d’échantillonnage ou, préférablement, 10 à 20 stations. Pour diverses raisons d’ordre pratique et d’efficacité par rapport au coût, il est donc habituellement préférable d’étudier des communautés de petits poissons vivant dans des cours d’eau ou la zone du littoral plutôt que des communautés de poissons de plus grande taille.
Le coût du traitement des échantillons (identification et dénombrement des poissons capturés) est habituellement négligeable. L’abondance de chaque espèce capturée est la principale variable analysée. Pour un faible montant additionnel, il est souvent possible d’obtenir des mesures du poids et de la longueur de chaque poisson. Les indicateurs du niveau d’exposition (p. ex. concentrations de métaux dans les tissus) sont rarement mesurés dans le cadre d’une ECP.
Les approches quantitatives prévoyant la réalisation d’analyse multivariée ou le calcul d’indices synthétiques sont préférables aux approches qualitatives. Les approches fondées sur la réalisation d’analyses multivariées sont plus objectives et plus faciles à défendre que celles prévoyant le calcul d’indices synthétiques. Toutefois, de tels indices peuvent se révéler fort utiles pour la description et la gestion des communautés étudiées si les analyses multivariées confirment la validité des hypothèses sous-tendant leur calcul. Un indice couramment utilisé, l’IIB, est souvent considéré comme synonyme d’ECP, mais à tort, puisque cet indice doit être déduit indépendamment pour chaque station ou zone à l’aide de données recueillies dans de nombreuses stations de référence. Les IIB utilisés aux États-Unis sont souvent fondés sur la richesse de taxons qui comptent beaucoup plus d’espèces qu’au Canada. Le calcul d’IIB ne convient donc pas pour les sites miniers considérés individuellement au Canada. Par contre, cette pratique peut être valide lorsqu’elle est appliquée à l’échelle de toute une région.
Des ECP essentiellement de nature qualitative ou semi-quantitative ont été effectuées dans le passé dans le cadre de programmes de suivi des effets de l’activité minière au Canada. Toutefois, les ECP sont plus fréquemment utilisées dans le cadre de relevés intéressant une région plus vaste pour évaluer l’incidence de nombreux facteurs de stress ou de nombreuses sources ponctuelles sur l’environnement. En raison de leur coût prohibitif, les ECP quantitatives défendables se révèlent impraticables dans le cadre d’un programme SEE dans la majorité des sites miniers au Canada.
RECOMMANDATIONS
Aux fins de l’application à l’industrie minière d’un programme SEE correspondant au type proposé par AQUAMIN (1996), il convient :
- de prévoir la prise de mesures normalisées des concentrations de métaux dans les tissus des poissons. De telles données permettent de déterminer les antécédents d’exposition des poissons et d’évaluer le degré de contamination par les métaux à des fins de protection de la santé humaine;
- de différer l’utilisation de n’importe lequel des marqueurs biologiques évalués dans le cadre de la présente étude et la réalisation d’examens pathologiques à l’échelle tissulaire dans le cadre d’activités de surveillance régulières jusqu’à ce que des évaluations plus approfondies sur le terrain permettent d’établir des liens avec des effets plus importants au plan écologique et d’évaluer le degré de difficulté entourant leur application;
- d’envisager l’utilisation dans le cadre d’études approfondies de certains outils, comme certaines enzymes dont l’activité est inhibée ou induite par des métaux spécifiques ou l’examen pathologique des tissus, pour établir des relations de cause à effet;
- de prévoir l’utilisation d’une combinaison d’outils s’appliquant aux organismes ou à des niveaux d’organisation supérieurs adaptés aux conditions propres à chaque site, ces outils fournissant des données plus pertinentes à un moindre coût et étant plus accessibles que les variables intéressant les niveaux d’organisation inférieurs.