SOMMAIRE
Portée
Le Programme d'évaluation des techniques de mesure d'impacts en milieu aquatique (ETIMA) a commandé une évaluation technique des méthodes d'analyse et d'interprétation des données sur les invertébrés benthiques aux fins de la surveillance des effets biologiques des effluents miniers. Cette évaluation avait pour objectif d'examiner la documentation récente sur le sujet et de recommander des méthodes d'analyse à la fois valides, objectives, efficaces et pertinentes au plan écologique, en vue de la surveillance des effets biologiques des effluents rejetées par les mines de métaux canadiennes. Les meilleures méthodes d'analyse sont celles qui fournissent les informations les plus utiles au moindre coût tout en se révélant les plus sensibles dans un contexte de surveillance biologique. La sensibilité, c'est-à-dire la capacité d'une méthode de détecter les changements d'amplitude faible ou modérée dans la structure des communautés d'invertébrés benthiques parmi un ensemble de fluctuations spatio-temporelles naturelles, est une caractéristique particulièrement souhaitable en surveillance biologique, car les méthodes sensibles, en plus de jouer le rôle d'un système d'alerte rapide en signalant la survenue imminente de dommages écosystémiques, sont également les plus susceptibles de détecter les effets subtils des faibles charges chroniques de métaux.
L'évaluation technique portait sur l'analyse statistique et l'interprétation écologique des densités d'invertébrés benthiques estimées à partir d'échantillons prélevés plus ou moins simultanément selon un plan spatial simple. Le plan de l'étude prévoyait la collecte d'échantillons répétés à un ou plusieurs sites de référence répartis en amont ou à l'extérieur de la zone exposée à l'effluent ainsi qu'à une série de sites exposés situés en aval de la zone de rejet. La répétition pouvait être réalisée de deux façons, soit par prélèvement d'échantillons multiples dans des sites individuels, soit par prélèvement d'échantillons uniques dans des sites multiples répartis dans des zones plus vastes.
Approche analytique
L'approche statistique privilégiée repose sur la prémisse selon laquelle une étude de surveillance biologique est essentiellement un test d'hypothèse visant à établir si une exploitation minière a des effets biologiques sur un plan d'eau donné à un moment donné. L'évaluateur aborde le processus analytique en supposant que l'effluent minier n'a aucun effet. C'est l'hypothèse nulle. Il vérifie la validité de cette hypothèse en comparant les sites exposés aux sites de référence non touchés, tout en s'efforçant de réduire le plus possible, en portant une attention particulière au plan de l'étude et à l'analyse, la probabilité que les différences observées à un site donné soient dues à des causes ne présentant aucun lien avec l'activité minière. La part d'inférence dans la conclusion selon laquelle l'activité minière exerce ou non un effet est forte, car dans un plan d'étude spatial, il est impossible d'exclure totalement la possibilité qu'une autre source d'effets en aval soit en cause. C'est pourquoi, dans la majorité des relevés courants, la pollution est mise en cause si la nature et la répartition spatiale des effets sur le benthos sont compatibles avec les attentes initiales formulées en considération de la nature de l'effluent et du fait qu'aucune autre perturbation ne permet d'expliquer les effets observés.
L'analyse de variance ou une méthode dérivée (analyse de covariance ou analyse multivariée de variance) est la méthode recommandée pour vérifier l'hypothèse selon laquelle l'abondance des espèces ou d'autres paramètres des communautés diffèrent de façon significative d'un site à l'autre dans la zone de surveillance biologique. D'autres méthodes d'analyse multivariée descriptive (p. ex. ordination ou groupement) permettent également aider à simplifier la base de données ou à mettre en évidence certaines tendances, mais elles ne permettent pas à elles seules d'établir de façon définitive si l'effluent minier exerce réellement un effet sur les communautés benthiques. C'est uniquement sur la base des conclusions de tests d'hypothèses statistiques qu'il devient possible d'afirmer, avec un risque d'erreur connu, qu'une exploitation minière a des effets néfastes sur le plan ou le cours d'eau exposé.
L'analyse de covariance contribue à accroître la sensibilité de l'analyse parce qu'elle permet de réduire la variabilité imputable aux variables environnementales ne présentant aucun lien avec la mine. C'est pourquoi son utilisation est fortement recommandée. L'analyse multivariée de variance doit également être préférée à l'analyse de variance conventionnelle, car elle tient compte en même temps de l'effet de plusieurs variables, réduisant ainsi le risque d'erreur de type I (conclure à tort à l'existence d'une différence), en particulier lorsque les variables sont corrélées. Toutefois, le recours à l'analyse multivariée de variance n'est envisageable que dans le cadre d'études de surveillance courante en raison du nombre élevé d'observations répétées requises. La modification des programmes d'échantillonnage (collecte de données sur l'habitat à chaque point d'échantillonnage, augmentation du nombre d'échantillons répétes et réduction de la taille des échantillons) en vue de faciliter l'utilisation de ces deux méthodes devrait également être encouragée.
Les graphiques simples illustrant les variations d'abondance des espèces, de la richesse ou d'autres variables en fonction des sites et de la distance à partir des sources ponctuelles constituent une façon à la fois simple et directe de présenter les données sur les invertébrés benthiques. Les moyennes et les intervalles ou les écarts-types associés à chacune des variables présentées sur ces graphiques devraient également être indiqués, ainsi que des indications concernant le seuil de signification des différences relevées. Bien qu'ils ne se prêtent pas à la comparaison statistique, certains macrodescripteurs des sites comme le couvert végétal ou l'utilisation des terres devraient également figurer sur les graphiques, car ce type d'information permet d'illustrer les différences plus larges entre les sites. Les graphiques et les dendrogrammss obtenus à l'aide d'ordinations et de groupements fournissent également des informations utiles, mais ils ne peuvent remplacer les graphiques simples illustrant la répartition des données dans l'espace.
L'appréciation des effets des exploitations minières est d'autant plus solide qu'elle s'appuie sur l'analyse des résultats composites de nombreuses variables concernant les taxons et les communautés et sur l'examen d'éléments concluants. Cette approche a pour objectif d'examiner les densités de divers taxons en vue de cerner des tendances permettant de confirmer l'existence d'un effet ou d'une autre source de perturbation. Si la présence de changements chez un taxon ne suffit pas à rejeter l'hypothèse nulle, l'observation de changements similaires chez d'autres taxons tend à confirmer l'existence de différences significatives entre les sites. En d'autres mots, cette approche tire parti du poids des preuves fondées sur le nombre et le type de taxons présentant des différences d'un site à l'autre et l'ampleur des réactions dans chaque cas.
Choix des variables indiquant une réponse
Les abondances des taxons communs ou de groupes d'organismes similaires (en cas de faible abondance) constituent les éléments de base de l'analyse par poids des preuves des différences relevées entre les sites. Les espèces et les genres sont les indicateurs les plus variés et les plus sensibles des conditions environnementales. L'analyse en parallèle de plusieurs taxons permet de confirmer le sens des tendances observées et, lorsque la biologie des organismes considérés est prise en compte, fournit souvent des indications fort utiles sur la nature des contraintes qui pèsent sur la communauté. L'utilisation de niveaux taxonomiques plus élevés, tels les ordres d'insectes, ne devrait être envisagée que lorsque l'abondance des taxons inférieurs est trop faible (taxons rares) ou trop variable pour être utile et lorsque les exigences écologiques des taxons supérieurs sont raisonnablement similaires. Afin d'éviter la multiplication d'analyses redondantes ou superflues, il est important de trier les données brutes afin de retenir uniquement les variables les plus susceptibles de mettre en évidence une tendance statistiquement significative compatible avec l'effet présumé de la perturbation. Cependant, tous les taxons sont utiles lorsqu'il s'agit d'examiner le poids de la preuve, y compris ceux dont l'abondance ne varie pas d'un site à l'autre.
Il convient également d'inclure des statistiques sommaires choisies dans l'analyse afin de fournir une mesure de l'ampleur des effets sur la communauté prise dans son ensemble. L'abondance totale de tous les organismes et le nombre total de taxons par échantillon sont des variables à la fois utiles et largement reconnues, mais elles peuvent être insensibles à des dégradations de faible amplitude. L'utilisation d'indices de similarité dans la comparaison des sites est également souhaitable, car ces indices : 1) résument en un seul chiffre la différence globale de structure des communautés entre les sites témoins et les sites exposés; 2) n'exigent aucune hypothèse de départ concernant la nature d'une communauté saine; 3) ne varient que dans un sens, permettant d'éviter ainsi les problèmes d'interprétation soulevées par la stimulation.
Les indices de similarité les plus fiables semblent être les indices de Bay-Curtis et l'indice de similarité proportionnel. Les indices de diversité, comme l'indice de Shannon-Weaver, ont été largement utilisés dans le cadre d'études de pollution, mais ils présentent le désavantage de ne pas répondre à des perturbations légères à modérées, en particulier en l'absence d'enrichissement organique. C'est pourquoi leur utilisation pour la surveillance des effets biologiques de l'activité des mines canadiennes sur les écosystèmes aquatiques n'est pas recommandée. Les indices biotiques permettent d'évaluer la qualité de l'eau d'après la présence ou l'absence d'espèces indicatrices présentant un seuil de tolérance connue et résument les conditions en un seul nombre. Le recours aux indices biotiques ne devrait être envisagé dans le cadre de programmes de surveillance des effets biologiques de l'activité minière que lorsqu'ils s'appliquent à la région géographique étudiée et qu'il y a de bonnes raisons de soupçonner la présence d'effluents organiques ou mélangés. Ces indices doivent être calculés pour chaque échantillon, et ils doivent être soumis aux analyses statistiques de la même manière que les autres variables.
Les groupes d'alimentation fonctionnels sont des guildes formées de taxons d'invertébrés qui obtiennent leur nourriture au moyen de stratégies similaires, sans égard aux affinités taxonomiques. Des études écologiques sur les eaux vives portent à croire que la proportion de groupes d'alimentation différents varie en réponse aux perturbations qui agissent sur la disponibilité des ressources alimentaires à l'intérieur du système. Ces fluctuations permettent donc d'évaluer dans quelle mesure le fonctionnement d'un écosystème est perturbé. L'utilité réelle des groupes d'alimentation fonctionnels comme variables permettant d'estimer le degré de dégradation des communautés benthiques dans les sites miniers demeure à déterminer. Les études menées à ce jour ont accordé trop d'attention à l'évaluation des effets associés à des perturbations importantes. D'autres recherches s'imposent pour évaluer la sensibilité et la fiabilité des groupes d'alimentation dans les sites modérément contaminés où la disponibilité des ressources alimentaires n'est pas trop compromise.
Les méthodes d'évaluation rapide permettent d'évaluer rapidement et de façon qualitative la qualité de l'eau d'après les résultats d'un échantillonnage préliminaire et, dès lors, ne sont pas recommandées pour la surveillance biologique des effets de l'activité minière sur les écosystèmes aquatiques. Néanmoins, certains paramètres associés à ces méthodes peuvent également fournir des indications utiles en surveillance biologique quantitative, et les recherches comparant la sensibilité et la précision de divers paramètres ne doivent pas être négligées. Toutefois, l'application de l'approche << multi-métrique >> à la surveillance biologique, c'est-à-dire d'une approche qui prévoit le regroupement d'une série de paramètres indépendants en un nombre unique pour évaluer les sites, n'est pas justifiée, ni au plan biologique, ni au plan statistique. L'utilisation de paramètres résultant d'un ratio entre deux variables est également à éviter.
Puissance
La puissance statistique correspond à la probabilité qu'une épreuve révèle une différence entre deux traitements réellement différents. C'est l'équivalent statistique de la sensibilité. Bien qu'elle soit un élément indispensable de tout bon protocole expérimental appliqué à la surveillance biologique, la puissance n'a pas reçu à ce jour toute l'attention qu'elle mérite. L'analyse de puissance devrait être incluse automatiquement dans tout projet de surveillance biologique. Durant la conception de l'étude, la puissance devrait être estimée à partir des résultats d'un échantillonnage préliminaire ou de données recueillies au cours d'années antérieures. Cette façon de faire permettrait de s'assurer que l'échantillonnage possède l'intensité voulue pour faire ressortir des différences écologiquement significatives entre les sites. Des calculs de la puissance devaient également être effectués chaque fois qu'une analyse de variance ne révèle aucune différence significative entre les sites. L'analyse de puissance devrait soit établir que le test est suffisamment puissant, soit déterminer l'ampleur de la différence entre les sites requise pour un test présentant une puissance raisonnable.
Besoins en recherche
Il convient d'entreprendre d'autres recherches sur les effets des effluents miniers sur les invertébrés benthiques des lacs et des rivières, en particulier sur les réponses de ces organismes à de faibles charges chroniques et à des effluents mélangés de nature métallique et organique. Ces travaux aideraient les chercheurs à formuler des hypothèses concernant les effets présumés des mines. Il faut également réaliser des recherches sur l'occurrence et l'importance des réponses aux stimuli dans les sites faiblement contaminés en raison de la complexité de l'interprétation introduite par les réponses bidirectionnelles aux perturbations. Des expériences permettant d'établir la toxicité de divers métaux pour un certain nombre d'espèces d'invertébrés benthiques communes dans les eaux canadiennes pourraient également fournir des données utiles. Toutes les données brutes recueillies dans le cadre de chaque projet de surveillance biologique devraient être versées dans une base de données sure, structurée et accessible en prévision d'études futures sur les tendances temporelles et d'une intégration éventuelle dans un réseau de sites de référence régionaux.